Les pleurs d'Aldoran mirent par la même occasion un terme aux agissements des ministres. En effet, les Torcheculs n'ayant guère d'affinité avec l'élément Eau, les rares survivants du déluge contractèrent de si méchantes maladies que la reine les révoqua moins de trois mois plus tard.
D'autant plus qu'un beau matin surgit du fond des horizons cléments un terrible fléau dont le célèbre biologiste Carabistouillas isola le virus, le Colibacillium ministrosa, la pire des saletés qu'il se puisse imaginer.
L'infection progressait en trois temps.
Tout d'abord, la phase d'incubation qui coïncidait avec les périodes électorales. C'étaient les mystérieux crédits accordés par un généreux donataire aux manières de caméléon et aux intentions désintéressées que l'on avait surnommé tout exprès le grand Mystigri. Caisses noires balladeuses, transactions occultes, coffres percés et tonneaux des Danaïdes ; fausses factures et délits d'initiés, lesquels conféraient au Colibacillium une incontestable virulence. Puis venait le jour des urnes, celui où la fièvre atteignait son paroxisme. Il fallait se méfier de tout et de tout le monde, se garder de son voisin comme de la peste en habits d'avocat.
N'importe
qui pouvait vous contaminer rien qu'en vous serrant la main. Surtout
un certain député Démoniac qui puait
l'ammoniac
à pleine bouche et qui attendait le client à deux
pas
du scrutin avec un sourire racolleur de gourgandine à cent
francs la passe, malgré ses dents
gâtées par
l'abus de goudron. Le même qui vous parlait de
propreté
et de loi anti-corruption sans rougir un seul instant des
méphitiques
relents de crapule qui se dégageaient de son haleine de
hareng. Pour un peu, il vous aurait craché des crapauds
à
la figure, et toute une cohorte grouillante de monstrueuses
créatures
au corps gluant que seul Jérôme Bosch
eût pu
peindre dans l'un de ses accès de verve
psychédélique.